Kherrata et le Sport
À kherrata,
la majorité de la population s’intéresse au sport. Cette activité physique est
exercée par un grand nombre de personnes dans plusieurs disciplines, même si le
football se taille la part du lion.
Il existait
trois courts de tennis dans mon village. L’un de ces terrains, aménagé au
milieu d’un bois à proximité d’une minoterie appartenant aux Dussaix,
industriels français, était entouré d’un grillage haut de trois mètres pour
arrêter les balles aériennes. Les après-midi, à la sortie de l’école, on
s’agglutinait devant cette clôture pour suivre les rencontres en tournant les
têtes en cadence, de droite à gauche puis de gauche à droite, au rythme des
coups de raquette. On admirait les revers et les smashes et on riait des
galipettes et des chutes. Ce sport privilégié était réservé aux Français bien
qu’un petit nombre d’indigènes y fût admis. Cependant, il n’attirait pas les
Algériens outre mesure : pour cela, il fallait qu’il fût un sport
populaire.
Au-dessus
de la fontaine Tababourte, le superbe terrain de pétanque avec sa terre ocre
damée, ses bancs en bois dont la peinture verte était assortie à la verdure
environnante, ses fleurs colorées et embaumées donnait un cachet particulier au
paysage alentour. Un peu plus haut, des spectateurs accoudés sur une balustrade
suivaient les glorieuses parties où biberons et carreaux en place des boulistes
faisaient bisquer les uns et combler les autres...
Dans le
quartier la carrière, au pied d’une montagne, un riche colon, surnommé Zizou —
un mordu de l’aéromodélisme — avait aménagé une piste circulaire pour avions
miniatures. Il se mettait au milieu du cercle cimenté et faisait tournoyer dans
les airs, à vive allure, le petit engin relié à un solide fil de six mètres
environ.
Mis de la
sorte sur orbite, l’appareil gravitait autour du disque dans un vrombissement
assourdissant jusqu’à épuisement du carburant contenu dans son petit réservoir.
Zizou prenait alors un autre modèle réduit d’avion et le manège durait ainsi
pendant deux ou trois heures.
Quelquefois,
à cause d’une manipulation maladroite, l’avion se crashait dans un fracas
violent à la grande déception de son constructeur et de l’assistance qui
suivait les vols avec une curiosité croissante. Chaque mois, on découvrait
d’autres types d’avions de plus en plus performants...
Le terrain
de basket-ball était situé au centre du village, à deux encablures de notre
maison. Cependant, malgré les matches très disputés, ce sport ne drainait pas
le grand public. Pourtant, l’équipe de Kherrata comptait en son sein des
joueurs très brillants. L’un de ces équipiers fut le cousin de ma future femme,
Abdeslam, dont je conserve encore la photo en tenue sportive où il apparaît à
son avantage, en pleine forme. Abdeslam deviendra plus tard chef de gare. Un
jour, au cours d’une discussion autour de la difficulté à trouver le sommeil au
milieu d’un bruit, il nous révéla en souriant que lui, au contraire, il ne pouvait
pas dormir avant d’avoir entendu siffler le train.
La natation
était l’autre sport pratiqué à Kherrata. À quatre kilomètres à l’est du
village, un barrage d’une usine hydroélectrique dénommé Ighil Emda, retenait un
immense lac de 110 millions de m3 dont l’eau calme et froide attirait bon
nombre de nageurs.
À la sortie ouest de la localité, en contrebas
de la fontaine Tababourte, la formation de petites nappes d’eau, plus ou moins
profondes, offrait aux jeunes l’opportunité de s’adonner à la nage libre ou de
piquer une tête dans des concours improvisés de plongeons. Les crawleurs de
Kherrata étaient au moins aussi bons que les riverains de la station balnéaire
de Tichy avec lesquels ils rivalisaient.
Un autre
sport passionnait les Kherratatiens : la pêche. Des parties de pêche, avec
un prix à la clef, étaient organisées périodiquement au grand lac. Il ne
s’agissait pas de la grande pêche ou de la pêche sous-marine, mais de la petite
pêche dite à la ligne, à l’asticot ou au vif. À Kherrata, on se livrait à cet
exercice dès l’adolescence. À l’instant où le poisson mordra pour la première
fois, le pêcheur deviendra désormais un mordu de ce sport. Du reste, quelle que
soit la petite dimension de cette première prise, le jeune homme parlera
toujours de pêche miraculeuse et, de cette conviction, rien ni personne ne
pourra l’en démordre.
Cela me
rappelle le jour où mon grand frère attrapa son premier poisson de mer — dont
j’ai oublié le nom mais qui ressemblait fortement à une petite sardine — qu’il
ramena en conquérant à la maison. Il conserva sa proie dans le réfrigérateur
pendant plusieurs jours en nous défendant de la faire frire, ce qui était
parfaitement infaisable vu la minuscule taille du fretin qui disparaîtrait dans
l’huile...
La
remarquable passion qui anime ces pêcheurs est résumée dans la réflexion
suivante émise par l’un d’eux :
« C’est
tout simplement ma raison de vivre ! Quand je m’apprête à lancer ma ligne,
le monde peut s’écrouler autour de moi. Ce qui m’importe, c’est de penser à
l’eau et au poisson, en imaginant le moment fort où je verrai ma future friture
frétiller au bout de l’hameçon. Alors, je suis heureux... comme un poisson dans
l’eau ! »
À la fin du
concours de pêche, les concurrents rentraient au village où une foule nombreuse
les attendait pour féliciter le gagnant et se gausser des autres, surtout ceux
revenus bredouilles.