Kherrata, Histoire et Tourisme
Kherrata
est un nom désormais lié à une date historique : 08 mai 1945. Il évoque,
avec Sétif, Guelma, et plusieurs autres régions du pays, un souvenir douloureux
pour l’Algérie exsangue qui a perdu alors, suite à la folie meurtrière du
colonialisme, 45000 de ses enfants.
08
mai 1945... 1er novembre 1954... 05 juillet 1962... Aujourd’hui,
Kherrata est une daïra de l’Algérie indépendante. Cependant, à l’instar de ses
sœurs de la wilaya de Béjaia, elle nage dans la même crise sociale et
économique prévalant dans le pays. Pourtant, sur le plan touristique, Kherrata
possède certains atouts naturels qui feraient d’elle un lieu privilégié pour
des séjours agréables en matière de villégiature.
Là-bas,
surplombant la ville, un immense lac est susceptible d’offrir aux estivants
plusieurs possibilités de loisirs. On pourrait y pêcher la carpe, le gardon ou
le barbeau ; on pourrait choisir de faire un tour en barque sur le plan
d’eau invitant à la méditation, et réciter le célèbre poème « Le
Lac » de Lamartine ; on pourrait se baigner dans cette eau paisible
et fraîche sans craindre qu’une lame déferlante vienne vous emporter au
loin ; on pourrait même, pourquoi pas, envisager de faire de l’aquaplane
ou du ski nautique ; on pourrait, pour rompre avec l’habitude, organiser
un pique-nique au bord du lac pour les délices de l’estomac et le plaisir des
yeux…
Kherrata
est également connue pour ses merveilleuses gorges dites du Chabet El Akhra qui
comptent, paraît-il, parmi les plus belles du monde ! Sur plus de sept
kilomètres, elle offre aux yeux extasiés de ses visiteurs plusieurs aspects
dont le spectacle est à la fois fascinant et chargé d’histoire.
Ainsi,
en plongeant le regard dans les ravins vertigineux, on peut voir le lit d’un
torrent desséché qui laisse deviner les vestiges des chars d’assaut poussés
dans le vide par nos combattants durant la Révolution. En levant la tête, on
apercevra tout là-haut, gravée à même une roche lisse, une trace
indélébile laissée par la légion étrangère : la reproduction parfaite
de l’emblème de ce corps tristement célèbre.
En
poursuivant la promenade sur la route goudronnée bordée de parapets et jalonnée
de petits tunnels, on découvrira un piton formidable, haut comme un
gratte-ciel, en forme de « pain de sucre », d’où il tient d’ailleurs
son nom, qui domine majestueusement l’espace alentour en accrochant
irrésistiblement le regard. À la fin de l’escalade de ce sommet, on profitera
d’un fort beau panorama : d’un côté de la route le massif de rochers
énormes, de l’autre la petite vallée étroite à versants raides dessinant le
cours d’eau toujours à sec en été.
Quelque
part, sur ces rives qui serpentent le long des gorges, se trouve une tablette
rocheuse sur laquelle une main anonyme a tracé au burin une inscription
évoquant le passage en ces lieux de la soldatesque française : « Les
premiers soldats qui passèrent sur ces rives furent les tirailleurs commandés
par le commandant De maison – 07 avril 1864 ».
Voici
à présent le Pont Hanouz, le pont des Martyrs du 08 mai 1945 : c’est
par-dessus ce pont, haut de plusieurs mètres, que des prisonniers algériens
sont précipités vivants dans le vide pour aller horriblement s’écraser au pied
de la montagne, sur le surprenant chaos de rochers énormes. Hanouz fut la
première victime de ces monstres sanguinaires. En se recueillant sur la tombe
de ces martyrs, on ne peut pas s’empêcher d’évoquer ce triste fait historique.
Flash-back…
08 mai 1945… Arrêt sur images. Quarante-cinq mille morts. L’horreur ! Dans
une folie meurtrière, les agents de « la patrie des Droits de
l’Homme » massacrèrent des milliers de vies humaines. Des milliers
d’Algériennes et d’Algériens qui réclamaient pacifiquement leur liberté, leur
indépendance. Une indépendance que la France avait pourtant promis d’accorder à
l’Algérie, à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale. Promesses vaines. Promesses
hypocrites. En revanche, une répression sanglante ! C’était là la réponse
de la France coloniale aux manifestations populaires organisées par le PPA
(Parti du Peuple Algérien).
Des
banderoles où l’on pouvait lire « Vive
la démocratie », « Vive
l’Algérie indépendante » ou « A
bas l’impérialisme » ; des drapeaux verts et blancs flottant au
vent ; Un hymne « Min Djibalina » entonné à tue-tête par des
milliers de voix… Et soudain, des coups de feu ! Le premier martyr tombe à
Sétif. C’est le drame. Le début du carnage… Du 8 au 16 mai 1945, en un peu plus
d’une semaine, tout est mis en œuvre pour perpétrer l’un des plus grands
génocides que l’histoire ait connus. La légion étrangère, les tirailleurs
sénégalais, les prisonniers italiens libérés pour la circonstance, l’aviation,
les divisions blindées, et même la marine, étaient tous de la partie. Une
partie funeste. Les rescapés de Sétif, Guelma, Kherrata, Melbou… se
souviennent. Ils se souviennent de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants,
de ces vieillards. Au total 45000. Tous martyrs pour avoir réclamé un droit
légitime. Ce crime contre l’Humanité restera à jamais gravé dans la mémoire
collective, car un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir.
Après
ce grand moment d’émotion, reprenons notre promenade dans les gorges du
« Chabet ». Empruntons courageusement un sentier de chèvres longeant
le flanc de la montagne pour aboutir au poste d’observation et de guet qui
culmine au-dessus des gorges, érigé là par les forces coloniales quelque temps
après le déclenchement de la Révolution du 1er novembre 1954. De ce
mirador, on jouit d’une vue splendide ; et une fois de plus, notre
imagination s’engouffre dans le passé pour nous faire revivre certains actes
héroïques de nos combattants pendant la Guerre de Libération Nationale. Plus
bas, on aperçoit la colossale stèle élevée par la Fondation du 8 mai 1945 à
l’occasion d’une grandiose commémoration, avec sons et lumières, organisée sur
les lieux mêmes du drame historique.
Redescendons
dans le défilé et allons nous divertir en observant le comportement amusant
d’une troupe de singes magots dont quelques-uns courent dans tous les sens sur
la route, tandis que les autres, assis tranquillement sur le parapet regardent
curieusement l’espèce humaine en ne s’effarouchant nullement. Ils viendront
même manger dans votre main pour peu que vous consentiez à leur présenter un
quignon de pain ou un carré de biscuit. On peut les approcher sans crainte et
même prendre à leurs cotés une photo souvenir... pour confirmer ou infirmer,
selon les physionomies, la théorie de Darwin.
Après
cette réjouissante halte, continuons notre excursion pour arriver à la fameuse
cascade appelée « El-Ansar Azagza » (la source bleue). Les baigneurs
qui rentrent de la plage en été, ne manquent jamais de s’arrêter en ce lieu
pour prendre une douche rapide sous la chute d’eau froide, ou pour se
désaltérer à la source permanente où coule une onde fraîche et pure. Sur la
petite place, des vendeurs de fruits, debout ou assis devant leurs éventaires,
proposent leurs marchandises aux passants et automobilistes. En contrebas de la
route, des enfants barbotent dans les petits étangs formés par le ruissellement
de la cascade.
Il
nous reste encore à visiter deux chefs-d’œuvre de la technologie moderne :
le pont et le tunnel. Une fois franchi le gigantesque pont courbe qui enjambe
l’oued Agrioun, nous pénétrons brusquement dans un tunnel long de sept
kilomètres creusé à même la montagne par une entreprise italienne après
l’indépendance. Cependant, si cet ouvrage est impressionnant sur le plan de la
réalisation, il n’en demeure pas moins qu’il présente une grande lacune du
point de vue pratique. En effet, ne disposant que de deux voies séparées par
une ligne continue — interdisant le dépassement — les automobilistes sont
souvent contraints, en bouillonnant d’exaspération, de suivre à petite vitesse
les véhicules lents jusqu’à la sortie, sept mille mètres plus loin !