LES FORMES IDENTITAIRES
DU NATIONALISME ALGÉRIEN
ET CRISE DE MÉDIATION POLITIQUE
Par Dr KHALED Karim
(Sociologue, chercheur universitaire. khaled.cread@gmail.com)
« Il y a deux histoires : l’Histoire officielle, mensongère, qui nous est enseignée, et l’Histoire secrète où se trouvent les vraies causes des événements, une Histoire hanteuse. » (Honoré De Balzac, Les illusions perdues)
Il s’agit de notre point de vue, sur la base de la littérature dominante sur l’histoire du nationalisme algérien et de ses prolongements après l’indépendance d’une crise aiguë dans « la transition de la forme identitaire du nationalisme algérien ». La crise dite « berbériste » de 1949 est une parfaite illustration historique, qui a comme sens la panne dans les fondements culturelles du « nationalisme communautariste » algérien et sa crise (médiation) dans le passage à un « nationalisme statutaire» moderne et réflexif où l’individu, le sujet pensant est sensé être mis au cœur de toute dynamique historique de la société.
Les deux formes idéologiques du nationalisme algérien ont comme substance constante l’impossibilité de l’émergence des « soi-même réflexifs », qui sont, à leurs tours, les moteurs de la formation de la citoyenneté et de la société civile. Ces derniers, sont considérés comme des composants et fondements de la construction et la pérennité des États-Nations. Ils sont des « médiateurs», assurant la représentation et la légitimité alternative des représentants politiques, censés incarner les « aspirations » des différentes catégories sociales.
Les deux « Nous », (communautaire et statutaire de façade) ont comme fonctions en Algérie, le maintien de l’ordre social par le religieux pour l’un (nationalisme communautaire) et la fonction politique, qui est le maintien de l’ordre idéologique unanimiste au nom des institutions modernes de l’État pour l’autre (nationalisme statutaire de façade). C’est un nationalisme à deux façades, mais qui véhicule la même « valeur idéologique de l’hégémonie», à l’image de deux faces d’une même pièce de monnaie. Ces valeurs idéologiques organiquement partagées creusent leurs fondements idéologiques dans le communautaire de type hégémonique.
En effet, entre la forme « communautariste » et « statutaire» du nationalisme algérien se pose la problématique de la représentation politique et de la citoyenneté en Algérie. La crise de 1949 au sein du Parti Populaire Algérien (PPA) est un « processus fondateur » de tous les conflits et les divisions politiques antagonistes qui vont structurer les différentes luttes idéologiques pour le monopole du pouvoir au sein des appareils de l’« État- Nation ».
Le champ des croyances politico-religieuses est toujours problématique en Algérie. Il est même la « substance et la matrice » de différentes luttes violentes et « clandestines » depuis la naissance du mouvement national et accentuées depuis la crise dite « berbéristes » en 1949. Elles (croyances politico-religieuses) vont se prolonger après l’indépendance en 1962 d’une manière transgénérationnelle (transmission des conflits politiques entre générations d’une manière inconsciente et non élaborés).
Le fondement de cette crise dans le champ des croyances politico-religieuses incarnées par les deux formes du nationalisme algérien se trouve dans cette crise dite « berbéristes ». En effet, "en 1949, des militants de la Fédération de France (Paris, Lyon) du PPA-MTLD, tous originaire de Kabylie, ont interpellé la direction du parti, lui demandant de se prononcer sur la démocratie et sur la relation entre l’Islam et la politique. Cette interpellation remettait, à l’évidence, en cause les fondements idéologiques du parti, la nature du charisme et la popularité de Messali Hadj, qui se situaient dans le prolongement d’une « culture politique » où la frontière entre le politique et le religieux était flou" .
De ce point de vue, "la nouveauté de l’événement réside dans le fait que la spécificité berbère était revendiquée par les tenants de l’aile radicale et plus particulièrement les partisans d’une insurrection immédiate. Laïcs ou distant à l’égard de la religion, les berbéristes- c’est ainsi que les appelaient leurs adversaires-, estimaient que le parti s’enfonçait dans l’électoralisme. Mais derrière ce grief se posait en réalité un problème : le phénomène de la cooptation bloquait la promotion des jeunes cadres au profit des éléments plus dociles à l’égard de la direction. La bataille eut pour point de départ la remise en cause du fonctionnement anti-démocratique du parti, s’étendit au rejet de la conception arabo-islamique de l’Algérie et posa enfin, sous couvert de pluralisme culturel, la question de l’organisation territoriale du parti sur la base du critère linguistique».
Cette analyse compréhensive a pour but de nuancer les deux types de nationalisme Algérien, comme produits de l’histoire, et, par la suite, comprendre son caractère structurel, après l’indépendance, malgré les multiples tentatives, d’ordre économique, d’instaurer un nationalisme nouveau qui s’inscrit dans une dynamique statutaire ; c’est- a- dire, instauré une « Algérie moderne ».
L’histoire officielle et l’histoire réelle
Oublier ou vouloir faire oublier l’histoire réelle de la société, c’est vouloir « instituer le mensonge ». De ce point de vue, ce processus idéologique de « Gouvernance » de l’Algérie depuis l’indépendance a mis la société dans une posture de «mise en scène » et de « faire semblant », favorisant le développement des « identités clandestines ». Ces dernières sont l’émanation systématique d’une crise de passage à la modernité réflexive, où le Droit assure la construction de la citoyenneté et la société civile. En effet, la société algérienne postindépendance va vivre sous l’hégémonie des deux nationalismes de type communautaire et statutaire, incarnant des formes identitaires holistes « Nous ». Il s’agit dans les deux situations historiques, d’une crise aiguë dans la dynamique du nationalisme algérien, mettant toute la société dans une inertie généralisée.
L’Algérie réelle reste otage de ses antagonismes idéologiques structurels du nationalisme, où la médiation politique reste toujours problématique, vu le caractère violent, avec toutes ses formes (physiques, symboliques), qui a caractérisé et structuré le champ de la pratique politique en Algérie depuis la naissance du mouvement national et en particulier depuis la crise dite « berbériste » en 1949
Cette spécificité du nationalisme, comme produit de l’histoire, où s’articulaient les deux nationalismes communautaires de type religieux et populiste se pose la problématique de la citoyenneté et l’émergence des « soi-même réflexif » comme sources de toute légitimité politique. La démarcation des personnes des conceptions communautaristes était impensable et impensée. Oser se démarquer et s’opposer à cet ordre idéologico-culturel c’est mettre ses initiateurs dans un processus d’exclusion certaine. L’individu est lié organiquement au groupe. Ces représentations idéologico-religieuses des Oulémas ont comme effet, leur engagement tardif dans la lutte armée, déclenchée sous la tutelle du FLN. En réalité, ce tardif engagement ne peut être qu’un prétexte qui cache les divisions idéologiques entres les deux élites, fractionnées en deux paradigmes antagonistes (Arabophones et Francisants), issus surtout de la crise de 1949 au sein du PPA et renforcés par les nouvelles élites issues de l’école française et tout ce qu’elles portent comme nouvelles représentations du monde et de la politique. Dans ces conditions, "les Oulémas se focalisent aussi sur la culture politique des nouvelles élites algériennes, qu’ils qualifiaient volontiers d’occidentalisées, alors qu’elles étaient, certes, francophones, mais pas pour autant occidentalisées, car, s’il s’agissait de leurs mœurs ou de leur vision du monde, elles n’étaient pas différentes des autre seulement de la population algérienne. Néanmoins, les Oulémas, considéraient que ces élites étaient porteuses d’un individualisme qui constituait un germe de dissolution de la communauté organique. D’où, chez eux, une volonté de « réislamisation », d’autant plus forte qu’ils ont été non seulement les pionniers d’une conception fermée de la religion, mais aussi qu’ils ont introduit sur la scène politique algérienne un certain jacobinisme religieux, là où il existait auparavant un pluralisme de la société islamique traditionnelle" .
Les tentatives de démarcation, notamment de la part des élites par rapport au modèle maintenu par les Oulémas, était impossible dans son contexte socio-historique. De ce point de vue, l’émergence de « l’individu réflexif » autonome par rapport à sa communauté de base, structurée autour de la religion musulmane, était impossible, comme le confirme l’historien Mohammed Harbi, « Contrairement à ce qu’on dit aujourd’hui, la religion dans l’islam n’a jamais été affaire de conscience : on nait dans une communauté que l’on n’a pas choisie, et on n’a pas le droit d’en sortir sous peine d’apostasie. Avec la colonisation, on a assisté, dans certaines franges étroites- essentiellement chez les élites-, à un processus d’individualisation des croyances et des pratiques religieuses. Le maintien du modèle ancestral organique a été remis en cause et on a assisté à la naissance d’une conception personnalisée de la religion, une conception qui cherchait à se faire reconnaitre, mais sans toujours désavouer, à quelques expressions prés, la vision communautaire traditionnel. La diffusion de cette conception était d’autant plus limité que, compte tenu de l’absence d’un centre politique et de la destruction de l’État en Algérie, la religion –une religion qui est d’abord une institution familiale et dont la préservation se fait d’abord à l’intérieur de la famille-, est devenue pour la société algérienne le principale élément d’intégration » .
L’équation infernale
En effet, face à des situations de domination idéologique totale, les groupes sociaux et les personnes ne peuvent que trouver dans leur « capital religieux » un moyen de refuge et un « opium » pour soulager leur « exil intérieur » imposé dans leur propre espace identitaire de vie commune. Dans d’autres situations de domination aliénique, la religion est objet de manipulation entre les mains des dominants. La nature des rapports entre le politique et la religion est l’expression type de « l’équilibre historique » entre ces deux dimensions diamétralement opposées. Cet équilibre est l’expression des types de transactions idéologiques qui se construisent entre eux (politique/religion) dans des contextes bien déterminés. Le cas de l’Algérie est exemplaire. Il s’agit de deux nationalismes communautaires complémentaires, l’un religieux et l’autre populiste. En effet," ces deux nationalismes ne sont pas fondamentalement contradictoires, et ils se sont heurtés dans la passé uniquement au sujet de l’attitude vis-à-vis du pouvoir colonial et des moyens à mettre en œuvre pour le combattre. Ils étaient, en fait, beaucoup plus proches que ne le laissaient croire les relations entre leurs organisations respectives. Car le PPA-MTLD, bien que se posant comme parti ayant un objectif politique et non religieux, se nourrissait de l’idéologie culturelle que diffusait l’AUMA…Messali Hadj et Abdelhamid Ben Badis n’étaient pas des figures concurrentes du nationalisme algérien, mais l’envers et le revers d’une même médaille. L’un pensait à restaurer l’État algérien dans sa souveraineté internationale, fût-ce par la violence ; l’autre pensait préserver les fondements religieux du peuple algérien quelle que soit la durée de la domination de l’ordre coloniale" .
Cette « transaction idéologique historique » va se cristalliser et donner naissance à des processus de domination personnalisés (Zaimisme-leaderschip-), décrits par certaines élites universitaires du mouvement national, comme « maladie du pouvoir ». Ce sont des processus de pouvoirs autoritaires, d’exclusions et de cooptations qu’a connues le mouvement national de l’intérieur et ses élites intellectuelles.
Le syndrome d’autodestruction
Dans toutes ces situations historiques, il s’agit d’un nationalisme hégémonique qui a structuré, ce que nous avons appelé les « formes identitaires » du nationalisme algérien, de type communautariste, à la fois religieux et populiste, qui s’est cristallisé comme source de « pouvoir » et de « légitimité », empêchant par la suite l’émergence d’un autre type de nationalisme plus représentatif, incarné par des citoyens. Les effets de ce type de nationalisme communautaire hégémonique, notamment après l’indépendance, sont avant tout, leurs cristallisations en tant que pratiques politiques légitimes, l’émergence du paternalisme politique, la panne de passage à la modernité politique dans la gestion de l’État après l’indépendance et, enfin, l’impossibilité des intellectuels de se constituer en corps autonomes, depuis la domestication politique de l’UGEMA par le Parti-État, le Front de Libération Nationale ( FLN). A titre indicatif, les récentes-anciennes polémiques aigues autour de l’histoire du mouvement national (Saïd Sadi, ), de la littérature (Kamel Daoud) et de l’anthropologie (Meriem Bouzid), et du cinéma « El Wahrani » de Lyes Salem…montrent à quel point l’Algérie est travaillée depuis des siècles par un système social très sophistiqué, articulant les deux formes communautaristes de type religieux holiste et idéologique unanimiste, empêchant dans leur essence l’émergence de l’individu autonome, sensé être l’élément catalyseur de toute forme de passage à une modernité-réflexive, instituée par le politique et reconnue par la conscience épistémique de la société. Cet idéal politique est conditionné par une imagination d’un projet de société digne de cette société millénaire et multiculturelle. Or, l’imagination est un exercice non aisé puisqu’elle est signe d’intelligence à la fois individuelle et collective. Le syndrome d’autodestruction, sous forme d’une mémoire non élaborée, prend corps pour mettre toute la société algérienne dans un perpétuel conflit transgénerationnel, mettant en danger sa cohésion nationale. La libération de l’Histoire est une thérapie collective pour réconcilier l’Algérie avec elle-même, dénigrée et mutilée jusqu'à présent dangereusement par les dogmes des deux formes du nationalisme algérien.
Dr Khaled Karim
TASKRIOUT
Au pays des sources millénaires
Taskriout est une ancienne division territoriale ; peut-être très ancienne ; même très, très ancienne… En effet, quelque part dans cette circonscription est ensevelie une véritable ville romaine appelée Kefrida du latin « Aqua Frigidas » ( eau froide) qui donne à toute la région un cachet antique et une dimension historique.
La cité millénaire fut-elle un municipe ? Des recherches archéologiques souhaitées donneront certainement la réponse tout en conservant ses vestiges d'une inestimable dimension historique.
Taskriout est jalonnée, à travers les âges, d'une succession d'évènements, de faits, de mythes qui constituent un grand réservoir de connaissances de notre terroir. Ainsi, le nom même de Taskriout est entouré de légende. Selon des témoignages, les habitants de cette contrée sont issus d'une ancêtre nommée Saskhra. La tribu s'appelait alors Ait Sekhriout (ceux de Sakhra), devenu par déformation pendant la colonisation Taskriout.
Le découpage administratif de 1984 lui a ravi une bonne partie de son territoire devenue l'actuelle commune d'Ait Smail située sur sa frontière Ouest. Du coté Nord, la commune de Taskriout partage sa frontière administrative avec les communes de Tizi N'Berber, Aokas et Souk El Ténine. Par ailleurs, elle est limitée par Kherrata au Sud et Darguina à l'Est.
Physiquement, il s'agit d'une zone montagneuse très accidentée, appartenant dans sa totalité à l'étage bioclimatique humide et se rattache à la zone centrale de la chaîne des Babors.
Géologiquement, la commune de Taskriout présente un contexte structural complexe, dominé par des chaînages, des formations essentiellement d'alternance marno-calcaires, calcaires massifs, schistes et argilo-marneuse. Avec un climat méditerranéen, le terroir montagnard très dégradé est soumis à une intense érosion qui affecte les niveaux tendres des versants abrupts.
La commune de Taskriout a une superficie de 31.06Km2 pour une population de 16000 âmes. Elle est située dans une région qui se présente comme une masse montagneuse compacte, traversée par plusieurs Oueds (Issafen et Ighezran) : Assif N'Ait Smail, Assif Agrioune.
La zone de montagne domine presque toute la superficie communale. Les altitudes les plus basses avoisinent les 140 m, le long d'Assif Agrioune, les sommets les plus importants sont : Adrar Takoucht (1895m), Adrar Amelal (1125m), Adrar N'Msbah (1389m).
Les agglomérations secondaires de la commune sont situées sur les versants des montagnes. Les agglomérations Ait M'barek, Ait Ali U M'hand et Sguen sont situées sur les versants Nord de Adrar Takoucht et Ighil Tachouft se terminant sur Assif N'ait Smail.
La localité Riff est située sur le versant Sud de Adrar N'fad et qui se termine sur Assif N'ait Smail.
Les localités Ait Idris et Kefrida sont situées sur le versant Est de Adrar N'fad et le versant Sud de Adrar N'Sidi Djaber.
La localité de Arechah est située sur le versant Ouest de Adrar Amelal.
La région est bâtie à la force des poignets de ces habitants dont le taux d'émigration est peut être l'un des plus élevé au niveau de la wilaya de Béjaia. Elle est composée de l'agglomération chef lieu (Bordj Mira) et de quatre principales agglomérations : Ait Idris, Riff, Ait M'barek et Ait Ali U M'hand et les agglomérations secondaires suivantes : Arechah, Kefrida, Taghzout, Tighzert et Sguen
Lem
Il y des choses plus fortes que l’amour, la mort : les racines, la langue, l’appartenance…
ASSEGAS AMEGAZ 2964
Yennayer, yennayer, fête algérienne millénaire
Egide de notre histoire, de notre passé de lumière
Nous te fêterons toujours, aujourd’hui comme hier
N’es-tu pas la mémoire fidèle de nos pères et mères ?
Assegas Amegaz au monde, et à tous les Berbères
Yennayer, Yennayer, fête algérienne et populaire,
Elu d’un peuple libre, et d’une riche et fertile terre
Racine de notre culture, de notre langue et de notre ère.
Lem
59° ANNIVERSAIRE DU DECLENCHEMENT DE LA REVOLUTION ALGERIENNE
HAMMA (HEMAT) Salah :
UN ENFANT DANS LA GUERRE
(SOUK-EL-TENINE-BEJAIA)
LA PRISE DE CONSCIENCE
Quand la guerre de Libération éclata en novembre 1954, je marchais sur mes sept ans ; et je m’apprêtais à vivre ma première année de scolarité. En descendant le chemin qui menait au village et à l’école, je découvris avec étonnement un environnement nouveau, si amplifié et si curieux que j’avais l’impression de m’être exilé dans un autre pays. Il faut dire qu’ayant toujours habité au pied de Sidi Djaber Nandji - le mont le plus élevé de cette chaîne de montagne surplombant Souk-El-Ténine – mon monde à moi se limitait à cette lointaine contrée et se confondait avec le paysage alentour.
Malgré une angoisse irraisonnée qui étreignait mon cœur, ma première journée d’étude se déroula convenablement. Je me souviens cependant que, dans la cour, n’arrivant pas à renouer les lacets de ma chaussure neuve, la maîtresse vint m’aider, puis me prendre la main pour me conduire en classe. A ce moment précis, je ressentis une tendre inclination pour cette institutrice que je voyais pour la première fois ; il me semblait même qu’elle faisait partie de ma famille.
Les jours suivants, dans la région, un certain manège inhabituel attira mon Attention de gosse : les adultes, dont mon père, se réunissaient souvent tantôt chez les uns, tantôt chez les autres parfois dehors, élevés sur un monticule protégé par ces arbustes qu’on appelle les lentisques (thidekhth) en kabyle. Ces rencontres se déroulaient discrètement et faisaient l’objet d’une surveillance attentive des alentours pour signaler tout mouvement suspect. Nous, enfants, remarquions ces va-et-vient en ignorant parfaitement de quoi il retournait. Cependant, ces allées et venues nous inspirèrent un sentiment indéfinissable de peur, d’insécurité mais tout gardé sous silence olympien.
Six kilomètres était la distance entre mon domicile et l’école ; je parcourais quotidiennement ce trajet à dos d’âne avec mon père. Mais il arrivait souvent que nous rencontrions des soldats français – la légion étrangère – qui réquisitionnaient mon paternel pour l’obliger à transporter sur la bête de somme un lourd émetteur ou du matériel militaire. Dans ce cas, je devais continuer tout seul le chemin qui me restait à couvrir pour atteindre mon école (tout en pleurant le long du parcours).
TRAUMATISMES
Plusieurs fois, mon père ne rentra pas à la maison. L’inquiétude gagna toute la famille et nos tentatives pour savoir ce qu’il était devenu sont restées vaines. Ce n’est qu’au bout du troisième jour ou plus que nous saurions que mon père était détenu par la garnison de Souk El Ténine dotée d’une geôle appelée (Djellal) ou dans les amphores de Tourneux ( du nom du colon) exploitant les terres arables et fertiles d’AOKAS .
Notre inquiétude fut à son comble parce nous savions que mon père possédait une arme de point – un pistolet 9/75 – un souvenir de la guerre 1939/1945 dont il a fait les campagnes d’Italie (Mont Cassino entre autres) ; à ce titre, il était décoré de plusieurs médailles.
Cette Arme qu’un jour où il a été arrêté, de bon matin au lieu dit « BOUSSATER », j’ai dû la dissimuler dans ma musette qui faisait aussi bien office de cartable d’écolier et de garde manger (Galette), jusqu’au village de Souk-El-Tenine, pour la cacher dans un coin de son épicerie.
Mon père avait une qualité incontestable : le courage. Il avait fait montre de cette force morale à plusieurs reprises et dont je fus le témoin avec mes yeux d’enfant. Une nuit, le capitaine Mathieu commandant le poste militaire de Djellal (Souk El Ténine) décida de bombarder le douar de Timridjine en lançant une dizaine d’obus de 120 mm ; trois de ces projectiles semant la mort tombèrent à quelques mètres de notre vieille demeure. Une fumée âcre pénétra par le toit en « DISS » dans la pièce où nous étions réfugiés sur l’ordre de mon père qui ne cessa pas de nous rassurer en prononçant des paroles apaisantes.
- N’ayez pas peur, n’ayez pas peur ; restons juste groupés et ne bougeons pas ; tout cela va bientôt s’arrêter…
Les obus explosaient dans un bruit assourdissant en ébranlant les assisses des habitations. À leur impact, Ils pulvérisaient tout sur un rayon de plusieurs mètres. Les constructions étaient bien sollicitées et détruites pour celles touchées par ces obus, les champs brûlés, les arbres abattus… . Ce fut l’enfer ! Nos voisins, les Ait-Achour, ont vu leur plantation de pommes de terre complètement ravagée et le lendemain d’apprendre que l’un des maléfiques obus était tombé juste sur une poutre centrale d’une maison avoisinante des Ait Said- autrement dit Djouadi Said où était réfugiée la Famille de si Moussa yemrabtene (Derguini Moussa) ; blessant une fille et en tuant une autre.
Un jour, alors que nous suivions un cours d’arabe dans un gourbi érigé en école au lieudit l’Hanout, dans la cour des Ait-Balonne(Boudjadja), les guetteurs postés sur un promontoire qui dominait tout le paysage alentour, donnèrent l’alerte pour avertir de la présence de militaires français. Ce signal permettait aux djounouds ou aux recherchés de prendre les dispositions nécessaires pour faire face au danger.
Les enfants sortirent rapidement en petits groupes de l’école pour rejoindre leurs domiciles et se mettre ainsi à l’abri d’une attaque de la soldatesque française qui ne faisait aucune différence entre un adulte et un enfant, entre une femme et une fillette. En colonne d’infanterie, la troupe militaire arriva au lieudit M’Rah. A l’instant où j’atteignis le seuil de notre maison, qui se trouvait à 500 m en contrebas (Bouzermtène), qu’une pluie d’obus s’abattit autour de nous. Cette agression fut hélas fatale à notre camarade Essaïd Saadi qui fut touché mortellement au ventre par un éclat d’obus au moment où il tentait de traverser Ighzer d’I3ayadène (la rivière des Aidoune) pour rejoindre son foyer. Sa mère, n’écoutant que son courage, se précipita sur le blessé, le plaça sur son dos et courut en direction de la route nationale Alors n°5 ; malheureusement, à cause de l’horrible blessure qui lui avait extirpé les entrailles, son fils rendit l’âme avant d’arriver aux premiers soins.
Plus tard, en racontant ce douloureux épisode, la mère du chahid Essaid Saadi rapporta un fait extraordinaire qui relevait plutôt d’une hallucination que de la réalité. Pourtant, quand elle parla, sa voix était imprégnée d’une certitude absolue :
- « Quand je suis arrivée à l’endroit appelé El-Hammam, une diablesse accompagnée de ses petits accoururent vers nous pour s’abreuver du sang rouge et chaud qui coulait du corps comateux de mon fils ».
Les méfaits du colonialisme sont multiples et divers. Non seulement cette mère avait perdu un être cher dont la mort la faisait souffrir dans sa chair et dans son âme, mais elle a aussi perdu le sens de la réalité, si bien que son esprit inventait des images irréelles générées par une douleur profonde et indicible.
Des émotions et des chocs pendant la révolution algérienne, les enfants en avaient connus d’innombrables. Un jour, je me trouvais en compagnie de ma mère à deux kilomètres de notre domicile au lieudit Igher Ouguelid. Je me balançais sur une balançoire fabriquée à l’aide d’une grosse corde de « Diss » attachée aux branches d’un olivier pendant que ma mère coupait de l’herbe destinée à notre vache. A un moment du va-et-vient qui me transportait de part et d’autre de l’arbre me permettant de voir quasiment jusqu’à la route nationale, j’eus une sorte de vision qui fit se bondir mon cœur dans ma poitrine. Je n’en croyais pas mes yeux ! Du côté nord, en deux colonnes, une centaine de militaires français longeait le lit de l’oued Tivhirine en direction du sud ; du côté Est, au lieudit M’Rah, un groupe de mousseblines discutaient à haute voix sans se douter qu’une opération d’encerclement militaire de la région (Timridjine –Ferdjoune) était sur le point de se mettre en place. Les deux formations ennemies se trouvaient ainsi à environ deux cents mètres l’une de l’autre. De plus, un avion d’observation Piper survolait ce périmètre. Je sautais immédiatement de ma balançoire pour aller avertir ma mère de la situation. Celle-ci, abandonnant aussitôt son travail, alla prévenir les maquisards en joignant le geste à la parole :
- Taisez-vous, taisez-vous ! Vite, vite, mettez-vous à l’abri ! Une patrouille militaire est dans les environs à votre droite à « bouderdoure » !
Non loin de là se trouvait jadis un moulin à grains appartenant à la famille Ikhlef, au confluent de la rivière de Ti3chache et Taghanimte; cherchant probablement à se mettre à l’abri, un jeune homme de seize ans, ayant aperçu la troupe de soldats, voulut longer la rivière de Ti3chache pour s’enfuir. Mais c’était sans compter avec la vigilance d’un bidasse voltigeur qui vida tout un chargeur d’une Mat 49 sur lui en criant :
- Je l’ai eu, je l’ai eu !
Le jeune Aissat Abdellah (Frère de aissat Aissa) un rescapé de cette guerre horrible), âgé à peine de seize printemps, fut retrouvé mort, debout sous une petite chute d’eau formée par la rivière.
Un peu plus haut, c’est au tour de Zernoune Ali de recevoir en plein flanc une rafale d’arme automatique. Lui, s’en sortira et ne tirera sa révérence qu’en 2012, mais sans jamais arriver à faire valoir ses droits de moussebel.
Il faut dire que toutes ces scènes terrifiantes s’étaient déroulées devant mes yeux exorbités. Tout mon être était la proie d’une peur paralysante. Je regardais perpétrer de sang-froid ces crimes odieux tandis que dans ma tête une multitude de questions sans réponses s’entrechoquaient en ajoutant à mon angoisse l’incompréhension de cette guerre inégale où un simple tir ennemi supprimait une vie en endeuillant des familles et un peuple. Ma mère, dont le courage me rassura quelque peu, chargea l’herbe sur notre âne avant de prendre le chemin du retour « escortés » par l’avion d’observation jusqu’à la maison de Bouzermten.
Agrippés de chaque coté, à la charge du baudet, ma mère et moi marchions prudemment en évitant de faire des mouvements suspects susceptibles de donner l’occasion au pilote du Piper de nous « canarder ». Durant tout le petit trajet menant chez nous, qui me paraissait interminable, ma mère me répéta sans discontinuer :
- N’aie pas peur. Marche doucement sans regarder l’avion. Courage, la maison n’est pas loin.
Quelques 30 minutes plus tard, le vrombissement de l’appareil volant s’estompa de plus en plus jusqu’à disparaître complètement tandis que nous atteignions le seuil de notre demeure sains et saufs Dieu Merci !.
A Souk El Ténine centre existait une poste PTT dont le receveur français, répondant au nom de Chabot, remplissait également le rôle de facteur. De ce fait, il connaissait tout le monde et son attitude affable lui attira une grande popularité. Un lundi, jour de marché, nom éponyme de Souk El Ténine (signifiant « marché du lundi » en langue berbère), Chabot fut la cible d’un attentat commis par un militant de Boulezazène qui devait faire preuve de courage et d’engagement pour être accepté par l’armée révolutionnaire. Atteint au bassin, Chabot s’en sortit avec un séjour à l’hôpital de Bougie (actuel Franz Fanon) avant de reprendre ses activités quelques jours plus tard.
A
u marché, l’attentat avait jeté la panique parmi la population. Les gens fuyaient dans tous les sens. Aussitôt arrivés, les militaires placèrent un fusil mitrailleur 24/29 à proximité de la mosquée Djame3 Ouzekri et commencèrent à arroser de leurs balles assassines les civils fuyant: deux d’entre eux si ma mémoire ne m’a pas trahi tombèrent sous ses tirs de vindicte, près de l’oued Agrioune. Non contents d’avoir abattu des innocents, les soldats avaient traîné par les pieds les dépouilles mortelles jusqu’au centre du village pour les exposer aux citoyens.
De son côté, le sinistre et cruel Capitaine Mathieu, commandant du poste militaire de Djellal (Souk El Ténine), humilia tous les habitants sur la placette du centre en les obligeant à se mettre à genoux pendant quasiment une demie journée, les mains sur la tête. Le petit garçon que j’étais subit également cet outrage. On fouilla même le béret que je portais « de peur certainement d’y cacher une quelconque arme ».
Heureusement pour nous, le postier qui reprit connaissance déclara qu’il connaissait le tireur pour lui avoir à maintes reprises payé des mandats qu’il recevait de France. Le capitaine intima alors à tout le monde l’ordre de quitter illico presto les lieux, ce que chacun fit précipitamment sans demander son reste.
Il était écrit que je subirai encore d’autres épreuves qui, tout compte fait, raffermiront mon caractère en me faisant prendre conscience que la résistance est le seul moyen de venir à bout du colonialisme pour recouvrer la liberté spoliée des Algériens.
Une fois, un officier supérieur de Bougie ou d’ailleurs, vint à Souk El Ténine pour adresser un discours à la population. En cette circonstance, les écoliers furent conduits vers la placette décorée ( le champ des Bouchilaoune). Me trouvant au premier rang à cause de ma petite taille, ce fut à moi qu’échut l’ « honneur » de remplir le rôle de porte-drapeau tricolore français. L’instituteur nomméCardebas me remit l’emblème fixé à un joli manche en bois. Je pris l’objet et le jetai parterre. Fou de rage, l’enseignant me bouscula, me terrassa et me piétina avant de me remettre une nouvelle fois le drapeau. Tout en réprimant mes larmes, je récidivai en répétant mon premier geste. La correction ne tarda pas et je me retrouvai au sol sous les coups du soi-disant éducateur. Le manège allait se reproduire encore quand je vis les collègues de M. Cardebas faire des gestes à celui-ci pour me laisser tranquille. Ce jour-là, j’éprouvais une fierté sans borgne. La fierté d’avoir tenu tête à un adulte français, la fierté d’avoir mis à jour ma haine du drapeau tricolore, la fierté d’avoir défendu une dignité dont je ne connaissais pas encore la vraie valeur mais que mon esprit m’en donna conscience.
Une nuit de l’année 1959, je faillis perdre la vie quand une balle tirée par un fusil de marque Lebel 1886 - arme à répétition similaire en calibre à la kalachnikov actuelle - passa à deux millimètres de ma tête. En voici les circonstances : des Moudjahidine étaient entrain de dîner chez un certain Magoire, boucher et restaurateur de son état dont l’établissement était situé à une encablure de la guérite de sentinelle de la permanence militaire qui se trouvait, elle, à moins de deux cents de mètres de notre demeure.
Soudain, une fusillade éclata. Des balles perdues venant de la guérite se logèrent dans le mur (en planche) de notre maison (gourbit) . L’un de ces projectiles frôla mon cuir chevelu et alla, malheureusement, se loger dans l’épaule d’un enfant de neuf ans, ACHOURI Abderrahmane, qui avait fui les zones de combats pour venir se réfugier chez nous. Ironie du sort, les balles qu’il avait fuies l’ont rattrapé chez nous…
MOMENTS DE FIERTE
En effet, il m’est arrivé d’observer le passage d’une troupe de Moudjahidine, et à chaque fois les cheveux sur ma tête se dressaient en même temps qu’un frisson parcourant tout mon corps…. C’est tout simplement un sentiment Rare de fierté qui vient revigorer mon frêle et chétif corps..
Un jour rentrant seul de l’école sur mon quadrupède ( qui vit lui aussi les mêmes scènes que moi), arrivé au lieudit azghayene, je me trouve face à face avec un Djoundi habillé en militaire réglementaire armé d’une Mitraillette Chinoise montant la garde à l’extérieur de la maison de Djouadi Ahmed. Répondant par un regard arrière au bruit des sabots de mon âne qui s’avance nonchalamment sur le sentier caillouteux, je lui lance un salam ou âlikoum auquel il répond par un hochement de la tête. A entendre les chuchotements importants, C’était une compagnie de Djounoud qui a élu domicile dans la maison pour se restaurer. Jusqu’à ce jour je n’avais pas encore vu de Moudjahidine habillés et armés de la sorte. Et tant mieux ça en ajoute à ma fierté.
Des accrochages entre Moudjahid et militaires français ont lieu quelques fois, ils symbolisent « la détermination d’un peuple spolié de sa liberté, de ses richesses…c’est des actes qui revigorent notre fierté …..Mais les uns plus que les autres.
En effet des accrochages qui se sont déroulés dans la région de Souk-El-Tenine, celui de Lousta est des plus spectaculaires. Les djounoud se sont aventurés jusqu’à quelques encablures du PC de Djellal (sur les hauteurs de Souk-El-Tenine), commandé par le Sinistre Capitaine Matieu, un rescapé de la Guerre d’Indochine.
Echappant comme par miracle à toutes les embuscades dressées contre lui, les Moudjahiddines ont tenu à lui montrer la vraie valeur combattante des « Fellagas), qui sont venus l’inquiéter chez lui en montant une embuscade à quasiment 100 m de son PC.
A l’aube les balles commencèrent à siffler, et le combat dure toute la journée, et très dur, serré, obligeant un navire de guerre venir cracher ses feux sur les hauteurs de Souk-El-Tenine dans un bruit d’une stridence à crever les tympans.
LE PATRIOTISME D’UN GOSSE
Pendant la Révolution , je m’étais livré à plusieurs actes « patriotiques » pour aider les maquisards dans leur résistance, mais, bien entendu, activités en rapport avec mon âge et mes possibilités. C’était ainsi que j’avais dissimulé dans les buissons des denrées destinées à la restauration des patriotes, que j’avais informé les troupes révolutionnaires sur la position de l’armée ennemie ou d’un éventuel ratissage, Prendre la craie et autres brosses de l’école française à l’école coranique.
Un jour un Moussebel me croisant sur le chemin de l’école coranique où je me rends m’arrêta et me dit d’un ton autoritaire et quelque peu menaçant : « Dis toi !!! qui fréquente l’école française, je suis sûr que tu ramènes des informations à la France --- réunissant tout mon courage de gamin et tout mon sens de conviction dissimulant une peur indéfinie …. Je lui rétorque tout en le fixant sévèrement-- Non je n’ai pas fait cela et je ne le ferai pas ; je suis moi aussi un moussebel !!!! et je lui montre une brosse de tableau ; une boite de craie que j’ai subtilisées à l’école française »- Comme s’il était vraiment convaincu il me lance ---avec une certaine assurance visiblement hautaine – d’accord mais attention !!!! . » comme quoi il existe des codes de conduite qu’il ne faut pas transgresser et à qui « mieux mieux » de les faire appliquer les français ou nos compatriotes y compris en semant la peur et autres aléas et n’épargnant personne car même le gamin que j’étais y passe. Mais comme notre cause est la bonne ça se digère facilement parce qu’il y va de la vie de nos frères et de notre révolution.
Quant à moi, je remercie Dieu Qui m’a prêté vie jusqu’à ce jour pour me permettre de voir une Algérie libre pour laquelle j’ai consacré, à son service, après l’indépendance évidemment, quarante ans de mon existence.
Grâce à un peuple algérien uni et indivisible, la révolution a triomphé de l’oppression et du colonialisme. Soyons jaloux de notre liberté chèrement payée ; n’oublions pas les martyrs qui ont permis cette indépendance ; aimons-nous les uns les autres et construisons notre pays pour que les générations futures soient fières de leur passé glorieux.
HAMMA (HEMAT) Salah
AZOUL, ALGÉRIE…
Papa, qui suis-je ?
Comment ça ? Pourquoi cette question ?
J’entends souvent que nous sommes des arabes, et j’en oublie même que je suis Algérien.
Tu sais, mon fils, ce sont les ancêtres qui déterminent l’appartenance à une ethnie, à une race.
Mais comment le savoir ?
Eh bien, écoute, avant notre indépendance, les Français ont occupé notre pays pendant 132 ans, et…
Ah ! Tu veux dire que je suis Français ?
Non, mon fils, tu n’es pas Français, parce qu’avant les Français notre pays a été occupé par les Turcs pendant 312 ans.
Alors, je suis Turc ?
Non, mon fils, tu n’es pas Turc, parce qu’avant les Turcs, il y a eu la conquête arabe et notre pays a été occupé pendant plus de huit siècles.
Ah ! Nous y voilà, je suis bien arabe.
Non, mon fils, tu n’es pas Arabe, parce qu’avant les Arabes, les Byzantins ont accaparé notre territoire pendant 133 ans.
Quoi ? Tu veux dire que je suis Byzantin ?
Non, mon fils, tu n’es pas Byzantin, parce qu’avant les Byzantins, il y avait les vandales et les Romains…
Vandale, Romain, je suis tout cela ?
Non, mon fils, tu n’es ni Vandale, ni Romain, parce qu’avant toutes ces occupations il y avait les Amazighs.
Les Amazighs ? Et avant eux, quel envahisseur vas-tu me sortir encore ?
Aucun, mon fils, les Amazighs sont les premiers occupants de cette belle contrée, et ils y vivaient en hommes libres dans notre pays. Dès la plus haute Antiquité, l'Algérie fut le berceau d’une civilisation berbère.
Je suis donc et enfin un Amazigh, papa ?
Oui, mon fils, parce les Amazighs sont tes ancêtres. Et maintenant que tu connais tes origines, rien ne t’empêche d’être un citoyen du monde et d’œuvrer pour le bien de l’humanité et de la planète. Les habitants d’un pays comme le nôtre doivent se donner la main pour prendre soin de la nationalité et éviter ainsi qu’elle ne devienne un jour une nation alitée… As-tu compris, mon fils ?
Oui, papa, tout est clair puisque tu viens de me parler dans ma langue maternelle qui ne me demande aucun effort de compréhension.
Tu vois, mon fils, et pourtant il y a des compatriotes qui veulent passer par un référendum pour t’autoriser ou non à comprendre…
Quoi ? Je ne comprends déjà pas ce que tu veux dire…
Moi aussi, mon fils, je ne comprends pas ce que comprennent ceux qui ne nous comprennent pas.
Papa, grâce à toi je suis vraiment bien content d’avoir retrouvé mon algérianité, et rien ni personne ne pourra m’en dessaisir.
Pour cela, mon fils, apprends l’Histoire, et méfie-toi des histoires…
Lem
51ème ANNIVERSAIRE DE L’INDEPENDANCE
Ô PAYS BIEN NÉ MAIS…
IXe siècle avant J-C : domination carthaginoise sur la côte algérienne.
202 avant J-C : début de l’intervention romaine.
429 après J-C : les Vandales dévastent le pays.
533 : domination byzantine.
666 : début de la conquête arabe.
1518 : occupation turque.
Juillet 1830 : début de la colonisation française.
1945 : soulèvement du 8 Mai.
1954 : guerre de Libération nationale déclenchée le 1er Novembre.
19 mars 1962 : les accords d’Évian mettent fin aux combats.
1er juillet 1962 : référendum qui permet à l’Algérie de choisir l’indépendance.
03 juillet 1962 : proclamation de l'indépendance de l’Algérie.
5 Juillet 1962 : proclamation définitive de l’indépendance l’Algérie.
…………………………………………………………………………………………
5 Juillet 1962
L’Algérie libre chantait, dansait, riait, pleurait de joie. «Tahia El Djazaïr !»
En chœur, les Algériennes et les Algériens lançaient à plein poumon ce cri victorieux qui annonçait enfin la paix avec son grand cortège de justice, de liberté d’expression, de sécurité, de bien-être et d’avenir assuré à tous les enfants d’Algérie…
5 Juillet 1962
L’Algérie libre n’en revenait pas encore ! «Tahia El Djazaïr !»
Finies les brimades ! Finies les tortures ! Finis les blessures et les deuils !
Oui, «Tahia El Djazaïr !» «Vive l’Algérie !»
Le soleil brille, l’horizon s’éclaire, et l’enfant naît en poussant le cri de la délivrance…
5 Juillet 1962
L’Algérie exsangue a réussi à briser les chaînes qui l’entravaient.
«Gloire à nos martyrs !», «Tahia El Djazaïr».
Tout le pays résonnait de ces acclamations chargées d’histoire, remplies d’espoir, pleines de promesses, pleines de promesses, pleines de promesses…
5 Juillet 2013
Tous les rêves se sont estompés, tous les espoirs sont devenus peau de chagrin. Toute la joie est devenue chagrin...
«Par le peuple et pour le peuple», «L’homme qu’il faut à la place qu’il faut», «Pour une vie meilleure», «Travail et rigueur pour garantir l’avenir »…
Des mots, des maux…
Quelle est loin cette clameur triomphante d’où fusait, sortie de millions de poitrines, et scandée comme par un seul être cette vibrante expression d’amour pour la patrie :
«Tahia El Djazaïr ! »
Pourtant, l’Algérien est peut-être le seul parmi les habitants de la planète qui interpelle son compatriote par les formules fraternelles : «agma», «yakhoua», «mon frère».
À qui la faute ? Pourquoi ?
Aujourd’hui les adultes dépensent sans se dépenser,
La jeunesse bouge sans avancer,
Les enfants poussent sans grandir…
Pourquoi ? A qui la faute ?
A qui ? A qui ? A l’évidence, il y a tellement de «A qui ?» !
Au fait où sont passés les acquis de la Révolution ?
Démocratie, justice sociale et tutti quanti ?
Où sont ces acquis ? A qui sont-ils destinés ? A qui ? A qui ?
Bonne fête quand même !
Gloire à nos martyrs !
Tahia El Djazaïr !
Vive l’Algérie ! …
Lem
Le journaliste : - On m’a dit que KHERRATA était chargée d’histoire ?
L’Algérien : - C’est juste. D’ailleurs, l’anagramme de « KHERRATA » est « ATARREKH » signifiant « histoire » en arabe.
Le journaliste : - Qu’est-ce qui a provoqué les événements du 8 mai 1945 ?
L’Algérien : - Au début de la colonisation, on disait toujours « oui, oui... oui, oui... » à l’autorité établie. Puis, prenant conscience petit à petit que le joug de l’envahisseur pesait sur notre devenir, nous commencions à répliquer par « oui, mais... oui, mais... » Et pendant plus d’un siècle, nous répétions inlassablement cette objection... jusqu’en 1945. Vous connaissez la suite.
Le journaliste : - Qu’est-ce qui caractérisait les Pieds-noirs au temps de la colonisation de votre pays ?
L’Algérien : - L’espaGNOLE était surtout porté sur la bouteille ; l’ItaLIEN aimait sa famille par-dessus tout ; quant au FranSAIT, il prétendait tout savoir ; et tous ces étrangers se moquaient de l’autochtone qui était pour eux une entité aussi inexistante que la quadrature du cercle, ou une bête sauvage qu’on égorge. De ce fait, ils étaient les saigneurs, et nous étions les vassaux sans gain.
Le journaliste : - J’ai lu quelque part que votre colonisateur vous accordait quand même certaines libertés ?
L’Algérien : - C’est exact. Nous étions en effet libres de claironner « Vive la France ! » ou « Nos ancêtres étaient des Gaulois ! » ; nous étions également libres de choisir les couleurs de notre drapeau, à condition d’opter pour l’emblème tricolore ; en outre, nous étions libres de choisir notre mort entre la pendaison et le peloton d’exécution…
Le journaliste : - N’y a-t-il donc aucun point commun entre colons et colonisés ?
L’Algérien : - Si. On avait les mêmes idées... phonétiquement s’entend : quand le colon pensait « terrain » ou « terrien », le colonisé pensait « tes reins » ou « t’es rien ! »
Le journaliste : - Néanmoins, vous disputiez des parties de football entre Algériens et Français ?
L’Algérien : - Oui, mais comme les matches se déroulaient sous la surveillance de l’armée coloniale, il fallait faire très attention ! Au moindre écart de notre part, et c’était le déclenchement des tirs de mitraillettes ! Certes, nous jouions au ballon, mais au... « faute-balles ».
Le journaliste : - Et les richesses ? Étaient-elles réparties équitablement entre les deux communautés ? Aviez-vous accès aux mêmes soins par exemple ?
L’Algérien : - Disons que c’était « tout » pour eux, et « toux » pour nous.
Le journaliste : - Le colonisateur ne vous accordait donc pas le droit d’être « Français » à part entière ?
L’Algérien : - Vous savez, comme le disait le tristement célèbre général américain Custer « un bon Indien est un indien mort », pour le Français « un bon Algérien est un Algérien Maure »
Le journaliste : - Pouvez-vous nous parler de la condition de la femme dans les deux camps ?
L’Algérien : - C’est simple, on disait à la Française : « Reste belle, évite le surmenage » et on criait à l’Algérienne : « Reste bête, et vite le sur-ménage ! »
Le journaliste : - Aïe !
L’Algérien : - Qu’avez-vous ? Vous vous sentez mal ?
Le journaliste : - Oui, j’ai des problèmes avec le gros intestin. C’est le côlon qui me fait des misères.
L’Algérien : - Qui ? Le colon ? Encore lui ? Il n’est donc pas parti en 1962 ?
Lem
50ÈME ANNIVERSAIRE DE L'INDÉPENDANCE
CENTRE DE TORTURES « TOURNEUX » DE CAP AOKAS
Combien d'aveux sont arrachés sous d'atroces supplices ? Combien de victimes algériennes soumises à la question sont mortes sous la torture ? Combien d'Algériens souffrent de traumatismes et d'infirmités suite aux multiples sévices subis ? On se sent froid dans le dos devant toutes ces inventions de souffrances, devant tous ces instruments de torture avec lesquels l'homme dit « civilisé » martyrisa son semblable…
Centres de torture
Dans la commune mixte de Oued-Marsa, à Cap-Aokas, entre 1952 et 1955, l'hôtel Moska – qui s'appellera beaucoup plus tard « Hôtel du Cap » - est érigé en centre de torture. Les cris et les hurlements de douleur des suppliciés fusent dans la nuit et s'entendent à plusieurs encablures à la ronde. Ils arrivent même jusqu'aux oreilles sensibles des enfants de l'Administrateur civil. La femme de celui-ci exige alors de son époux le déplacement de ce lieu de détention qui sera, à compter l'année suivante, établi plus loin dans une ferme de colon à la sortie est du village d'Aokas.
Le camp de concentration de Cap-Aokas fut créé par les forces coloniales en juillet 1956. Le choix de son emplacement dans la ferme du colon Tourneux fut déterminé par la présence d'une trentaine de grandes et profondes amphores (cuves) au col étroit où l'on enfermait les vins. Ces grands récipients cylindriques désaffectés, munis d'un système de fermeture hermétique décourageant toute tentative d'évasion, furent utilisés comme cellules pénitentiaires. Des condamnés transférés de toute la région dans ce camp de la dernière heure étaient mutilés et défigurés avant d'être jetés dans ces oubliettes jusqu'à ce que mort s'ensuivît.
Tortures…
La chambre des tortures était une vaste construction close, genre entrepôt, dont les poutres apparentes du plafond soutenaient une poulie portant une corde servant à hisser des fardeaux au-dessus d'un bassin avant de les plonger dans le liquide noirâtre ; ces fardeaux étaient en l'occurrence des prisonniers ficelés comme des paquets de linge.
A proximité du réservoir d'eau, en vue d'un usage barbare, fut montée une installation produisant de violentes décharges électriques. Ces électrocutions provoquaient des pertes de connaissance brutales, des convulsions, des brûlures au point de contact ou, quelquefois, (heureuses délivrances !) des morts instantanées.
Isolement cellulaire…
Lorsqu'on verrouille derrière le prisonnier la porte en fonte de l'amphore, et qu'il se retrouve seul dans le noir le plus complet, des pensées horribles l'assaillent aussitôt.
- Peut-être que ses tortionnaires le laisseraient-ils croupir dans ce trou ?
Une détresse accablante l'envahit, une sensation affreuse de solitude et d'impuissance. Peut-être est-ce réellement la fin ? A cette idée, les pensées du prisonnier allaient à sa famille, surtout à la mère qui doit être rongée d'inquiétude. Puis, sentant du fond de son être monter une force mystérieuse il s'entendit murmurer comme dans un rêve :
« Allez, il faut tenir le coup ! Ne pas s'abandonner au découragement. Dieu est grand. Et vive la Révolution ! »
Cris d'effroi…
D'un moment à l'autre, jour et nuit, des cris déchirants parviennent aux oreilles du détenu accroupi dans l'amphore. Des captifs sont en proie aux affres de la torture. Ces hurlements de terreur et de souffrances font terriblement accroître le désespoir et l'angoisse des autres prisonniers. Même les bergers évitaient de faire paître leurs troupeaux aux environs du camp de la mort pour ne pas entendre ces cris d'effroi.
Interrogatoire musclé
Quelques jours plus tard, le prisonnier entend les pas réguliers des soldats venus le chercher pour un nouvel interrogatoire. En sortant de sa cellule, il met instinctivement les mains devant ses yeux aveuglés par la lumière éclatante du jour. Dans la salle des tortures, on commande au prisonnier de se déshabiller et de s'asseoir sur une chaise.
Aussitôt, les questions tonitruantes fusent :
« Qui collecte les fonds pour les fellagas ? Quelle maison accueille les maquisards ? Comment s'appelle le chef des terroristes ? »
Et la réponse, toujours la même, sort de la bouche de la victime :
« Je ne sais pas, je ne sais pas. »
L'Adjudant parlant couramment le Kabyle, s'adresse au prisonnier :
« Écoute mon petit, il vaut mieux nous donner les noms des fellagas. De toute façon tu ne peux pas leur nuire puisqu'ils sont déjà dans le maquis. Et toi, tu pourras enfin rentrer chez toi sain et sauf. »
Silence…
Supplices…
Tout à coup, les bourreaux se ruent sur la victime pour l'attacher. D'abord, ils engagent un solide bâton sous les genoux, puis ils lient les poignets et les avant-bras de part et d'autre de la trique, si bien que tout le corps s'en trouve plié en deux. L'une des deux extrémités de la corde qui pend d'une poulie est ensuite fixée entre les jambes, au milieu de la tige en bois. En tirant sur l'autre bout de la corde, la masse humaine est extirpée de la chaise puis, la tête en bas, elle est hissée par à coups comme un ballot jusqu'au dessus du bassin rempli d'eau savonneuse, sale et salée. Alors, la torture par immersion peut commencer.
Le corps est plongé brutalement dans le liquide poisseux. En apnée, le prisonnier éprouve une sensation terrible d'étouffement ; il est au bord de l'asphyxie. Il a l'impression que tout son corps est sur le point d'exploser. Ne tenant plus, il tente de respirer ; aussitôt, le liquide s'engouffre à flots dans ses poumons. Mais au moment où la mort par noyade semble irrémédiable, il est retiré de l'eau. Il émerge brusquement la bouche grande ouverte et avale d'un coup une grande quantité d'oxygène jusqu'à l'étourdissement.
Suspendu dans le vide, l'eau dégoulinant de son corps, la victime continue à être pressée de questions. Si la réponse tarde à venir ou ne satisfait pas le tortionnaire, le mauvais traitement est répété en conséquence jusqu'à arracher des aveux complets ; ceux-ci sont parfois inventés de toutes pièces par la victime pour que cesse son pénible et long calvaire.
Parfois, le prisonnier est transféré de sa cellule vers le camp de toile où sont regroupés les prisonniers près d'être relâchés. La tête hirsute, les yeux plissés devant l'éclat de la lumière du soleil, il est accueilli par les autres détenus qui sont touchés par la maigreur et la mauvaise mine de leur compatriote…
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Ce qu'il faut retenir
Auparavant, de 1952 à 1955, c'était à l'hôtel « Moska » (plus tard appelé « Hôtel du Cap ») que les colons pratiquaient la torture.
Ensuite, les forces coloniales créèrent en juillet 1956 le camp de concentration de Cap-Aokas
C'était la ferme du colon « Tourneux » qu'on érigea ce lieu de détention et de torture.
Les prisonniers étaient enfermés dans des amphores géantes utilisées précédemment comme cuves à vins par le fermier français.
Bastonnade, électrocution, noyade, étouffement, blessures diverses... sont les méthodes de tortures utilisées par les bourreaux de ce centre de détention.
Parmi les Algériens et les Algériennes qui séjournèrent dans ce camp de concentration, beaucoup sont morts, ou traumatisés, ou handicapés à vie, ou détraqués, ou…
50ème ANNIVERSAIRE DE L’INDEPENDANCE
La Résistante
Imma Aicha et son fils Rachid après l'indépendance
La révolution algérienne a enfanté des héros ; elle a fièrement poussé ses enfants à l’abnégation noble et courageuse. Beaucoup ont sacrifié leur vie à la patrie. Beaucoup ont subi à maintes reprises les pires supplices dans leur âme et dans leur chair sans jamais abandonner l’idéal révolutionnaire. Beaucoup d’hommes ont choisi le renoncement pour que vive l’Algérie.
Mais aussi beaucoup de femmes, ces êtres considérés naturellement faibles mais dont la force morale et physique dépassait souvent celle de leurs pendants masculins. Khoufache Aïcha, née Mersel le vendredi treize octobre 1928, étaient de celles-là.
Une authentique partisane. Une véritable résistante.
Une vraie femme. Une femme algérienne.
Son époux, Khoufache Abdelkader, était un maquisard de la première heure. Sa maison sise non loin du centre de la localité de Tichy, au lieudit Tikhribt Aghigha, était un refuge permanent, un passage obligé de nombre de moudjahidine qui transitaient par la station balnéaire. Plusieurs dirigeants de l’organisation révolutionnaire de la wilaya II furent reçus dans cette demeure bénie. En plus de l’hébergement des combattants, la maison faisait office de lieu de réunions, de cache d’armes ou de source de renseignements.
Aïcha, ou plutôt « Imma Aïcha[1] », comme l’appelaient affectueusement les moudjahidine, fit bien sûr face à toutes ces tâches ménagères quasi ininterrompues, mais remplissait également d’autres fonctions liées à la Résistance : collecte de fonds, de renseignements, administration des premiers soins aux blessés...
Quand son époux tomba au champ d’honneur au mois de décembre 1956, elle se sentit aussitôt investie d’une puissance inattendue. Au lieu de la plonger dans le désespoir, la mort de son mari raffermit sa détermination à lutter sans relâche pour la liberté de son pays, honorant ainsi la mémoire de l’être cher qu’elle venait de perdre.
Contrôlée à plusieurs reprises par l’administration coloniale, mais sans conséquences malencontreuses jusque là, Imma Aïcha connaîtra sa première arrestation en 1959 suite à une délation. Pendant trois jours, elle subira les affres de la torture et de l’humiliation dans le camp de détention situé à l’entrée est de Tichy, à proximité de « l’auberge des chênes ». Cette caserne était commandée par un capitaine impitoyable que la population avait affublé du surnom de « Boukhanoufe », allusion faite à son nez disgracieux et proéminent.
Le corps de la prisonnière, meurtri par une série de décharges électriques suivie de plusieurs immersions dans l’eau savonneuse et salée jusqu’au bord de l’asphyxie, n’était plus qu’une loque humaine. A bout de forces, Imma Aïcha perdit connaissance et son cœur s’arrêta de battre. À l’heure du crépuscule, ses tortionnaires la transportèrent dans les marais de Sidi Labhar, rive droite de la Soummam, et la balancèrent toute nue dans ce pourrissoir.
Au petit matin, des nomades Hjarssa,[2] se rendant à la plage pour extraire du sable, entendirent de faibles gémissements de douleur provenant de l’étendue palustre. Miracle ! Imma Aïcha était encore vivante ! Le souffle court, le regard révulsé, la femme trouva encore le courage de se recroqueviller pour protéger son intimité devant les hommes qui s’affairaient autour d’elle. Averti rapidement, le chef des ouvriers arriva muni d’une couverture et porta la blessée dans sa tente. Œil tuméfié, visage boursouflé, plaies purulentes et sales, l’état de la victime faisait peine à voir. Comment avait-elle pu survivre à ces mauvais traitements ? Où puisait-elle cette mystérieuse force qui la maintenait en vie ? Après lui avoir prodigué les premiers soins, les nomades conduiront Imma Aïcha chez un de ses parents résidant à Bougie, Aïssa Khoufache, où un médecin algérien s’emploiera à la remettre sur pieds.
Après son rétablissement, Imma Aïcha regagna la localité de Tichy où elle séjourna dans une cave chez son beau-frère Khoufache Rabah. Mais peu de temps après, ayant eu vent de la « résurrection » de la militante révolutionnaire, le capitaine Boukhnoufe la fit arrêter de nouveau. La prisonnière sera mise au secret avec tout l’assortiment d’atroces supplices que cette mesure répressive renferme ; sa famille n’aura aucune information à son sujet durant plus de quinze jours.
Pendant six mois, elle passa successivement du centre de détention de Tichy, au poste militaire d’Ifoughalène dans le douar d’Aït Bimoune, au camp de concentration de Cap-Aokas établi dans la ferme du colon Tourneux. Là, elle rencontra trois autres femmes détenues comme elle. Imma Aïcha croupit plus de vingt-cinq jours dans une amphore étroite, humide et obscure, transformée en cellule pénitentiaire. Parfois, le fond du cachot était volontairement inondé pour obliger la prisonnière à dormir debout comme le font les oiseaux de basse-cour. Tous les trois jours, ses bourreaux la soumettaient à un interrogatoire musclé et sauvage.
Entre temps, le garde champêtre Mersel Mohand Saïd, père de Imma Aïcha, sollicitera le soutien du directeur d’école de Tichy, Delessal, pour obtenir la libération de sa fille. Les autorités coloniales accepteront de relâcher la militante à condition que celle-ci cessât toute activité clandestine portant atteinte aux intérêts de la république française.
Or, comme par le passé, la maison de Imma Aïcha continua naturellement à offrir le gîte et le couvert aux combattants de la liberté ; comme par le passé, Imma Aïcha mit naturellement son cœur, son énergie et son courage au service de la Révolution. Puis, quelque temps après, tout bascula.
Cette nuit-là, une centaine de moudjahidine dont le commissaire politique Chérif Ziani, se trouvait dans la demeure des Khoufache. Subrepticement, tous feux éteints, un half-track[3] se positionna face à l’habitation ciblée et lança ses obus. Quelques murs s’effondrèrent. Branle-bas de combat. Les Moudjahidine s’éparpillèrent et ripostèrent. Un feu d’enfer s’ensuivit. Le crépitement des mitraillettes et les tirs d’armes automatiques se mêlaient aux explosions des grenades. Dans le feu de l’action, un combattant reçut en pleine poitrine un obus l’arrachant au sol et le projetant dans le jardin. Touché à la jambe, Chérif Ziani sera secouru par Imma Aïcha qui l’éloignera de la fusillade.
L’accrochage dura un peu plus de vingt minutes. Puis, plus rien. Les deux camps décrochèrent. Imma Aïcha récupéra les armes abandonnées au cours de l’affrontement par les hommes des deux formations militaires ennemies. Elle les enfouit dans un sac et ensevelit celui-ci dans un coin secret du jardin. Au fond du potager, elle découvrit le corps ensanglanté et sans vie d’un moudjahid ; celui-ci était adossé à un arbuste, le doigt sur la détente de son fusil. Aidé de ses enfants, elle l’enterra avec ses habits tâchés de sang.
Le lendemain, la rafle effectuée par l’armée française aboutit à des arrestations immédiates dont celle attendue de Imma Aïcha ; la militante fut d’abord emmenée manu militari au camp de représailles Oubadi Skala à Bougie où elle subit pendant quatre jours les tortures les plus abominables ; ensuite, elle fut transférée au camp de concentration de Cap-Aokas où elle sera internée jusqu’à l’indépendance. Entre temps, elle sera jugée par le tribunal d’exception de Sétif qui la condamnera à mort, puis à la réclusion à perpétuité, avant de réduire sa peine à vingt ans de prison ferme suite à un pourvoi en cassation.
Mais le 19 mars 1962[4] arriva vite, inondant de son parfum de liberté tout un pays et son peuple. Un peuple algérien composé d’hommes et de femmes qui, à l’instar de Imma Aïcha, n’avaient reculé devant aucun sacrifice pour venir enfin à bout du régime d’oppression. La libération de la militante fut triomphale. Les combattants décidèrent d’aller en nombre l’accueillir à sa sortie. Des salves bruyantes d’armes à feu saluèrent la grande résistante. Des larmes montaient aux yeux de certains moudjahidine. L’émotion fut à son comble.
Quand le cortège s’ébranla pour emmener Imma Aïcha à son domicile de Tichy, elle sortit la tête de la portière et leva les yeux vers le ciel. Dans le firmament azuré, elle vit le visage souriant de son époux mort au champ d’honneur ; elle lui sourit à son tour, et d’un hochement de tête affirmatif, elle lui dit tout bas, mais en ayant l’impression de crier de toutes ses forces :
« Tu peux reposer en paix, Abdelkader. Ça y est, nous l’avons !... Nous l’avons notre indépendance ! »
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