Kherrata, M. Challal, directeur d'école
Après
monsieur Tréchet, un Français ambitieux et sévère, candidat malheureux
aux municipales de 1960, le directeur de notre école fut monsieur
Challal Djoudi, un Algérien kabyle dont la nomination à ce poste
éveillait chez la population indigène une certaine fierté.
Monsieur
Challal, en sa qualité de directeur, était chargé de l’instruction des
grandes classes, en l’occurrence le Cours fin d’Études (C.F.E.), dont
je faisais partie. Peut-être était-ce sa bonhomie rassurante, son
appartenance à la culture berbère — ou parce que c’était le père de
notre camarade de classe Bachir – en tout cas, nous étions unanimes
pour dire que « Monsieur Challal était le meilleur maître que nous ayons eu ». Et pourtant, les instituteurs précédents n’étaient pas incompétents, loin s’en faut !
Oui,
monsieur Challal avait des méthodes pédagogiques infaillibles pour
rendre claire la plus alambiquée des leçons. Avec lui, le subjonctif
passé se conjuguait aussi facilement que le présent de l’indicatif ;
l’accord du participe passé ne faisait plus l’objet de confusions ; les
règles complexes de l’orthographe d’usage et grammaticale devenaient
aussi limpides que l’eau de roche ; la mémorisation des dates
historiques relevait d’un simple jeu ; et, en calcul, on trouvait
presque du plaisir à trouver la seconde précise à laquelle un train,
mesurant tant de mètres, roulant à tant km/heure, ayant démarré de
telle ville à telle heure, sortira d’un tunnel mesurant tant de mètres,
se trouvant à tant de kilomètres de la ville de départ...
À
propos de problème, je me souviens d’une séance de calcul mental où
l’intelligence latente de notre camarade Mohamed nous fut révélée d’une
manière spectaculaire. Le calcul mental était un exercice très rapide.
On disposait seulement de cinq secondes pour réfléchir et répondre, sur
les ardoises, à la question qui était toujours une véritable colle. Ce
jour-là, l’énoncé de l’exercice s’articulait comme suit :
« Une
planche mesure un mètre de longueur. On la coupe en trois coups de scie
de façon à obtenir des tronçons de bois égaux. Quelle est la longueur
de chaque tronçon ? »
A la fin des cinq secondes, toutes les ardoises affichaient le même résultat : 33,33 cm. Sauf celle de Mohamed qui indiquait :
« Attention, rira bien qui rira le dernier ! »
Puis, il poursuivit lentement en martelant chaque syllabe :
« Seul -Mo-ha-med-a-trou-vé-la-bon-ne-ré-ponse ! »
À
ces paroles, notre esprit s’éclaira subitement : le système des
intervalles ! Hé oui, les trois coups de scie fractionnaient la planche
en quatre tronçons et non en trois comme nous l’avions tous pensé
précipitamment !
Par cette prouesse mathématique, Mohamed força l’admiration de toute la classe. Ce garçon, qui pratiquait l’haltérophilie, avait un corps robuste, bien proportionné. Sûr de sa solide constitution physique, il aimait nous lancer amicalement un défi qui consistait à frapper à coups de poings de toutes nos forces son abdomen très dur, où se dessinaient d’ailleurs des « tablettes de chocolat » comme on dit aujourd’hui. À la fin de cet exercice, tous les « boxeurs » avaient mal aux poignets tandis que Mohamed – souriant - était tout heureux de cette énième performance. À la fin de ses études, après l’obtention de son diplôme d’ingénieur, il émigrera au Canada où il s’établira définitivement.