Kherrata, la fontaine "Tababourte"

« Ô ! Fontaine, je boirai toujours de ton eau ! »

 

La fontaine du village...  Une phrase musicale qui bat comme un cœur et qui annonce la joie de vivre ; l'eau, n'est-ce pas la vie ?

 

Combien de fois avons-nous lu dans les oeuvres de nos écrivains un passage décrivant ce lieu privilégié où se rendait la gent féminine pour remplir d'eau, qui une cruche, qui une gargoulette, qui une outre ?

Et les toilettes de ces femmes, leurs gestes gracieux, les éclats de leurs voix, leurs rires étouffés, tout cela donnait à cet endroit un air de fête...

 

Il n'y a pas longtemps, la fontaine était le fief des femmes, interdit aux hommes. Aujourd'hui, elle est surtout fréquentée par ces derniers.

 

À Kherrata, existe une belle fontaine baptisée « Tababourte » parce que son eau pure et fraîche descend d'une source qui se trouve dans les Monts Babors. Construite au temps du colonialisme, cette fontaine, si elle pouvait parler, nous raconterait bien des épisodes de notre Histoire !

 

Que de générations elle a vu défiler devant elle, venues étancher leur soif ! Combien de fois a-t-elle rafraîchi le gosier de nos grands-parents ? Elle a certainement eu le privilège de remplir de son eau claire les radiateurs des toutes premières voitures...

 

Elle a désaltéré les hommes et abreuvé les bêtes sans faire de distinction entre l'animal et l'être humain ; offrant sa délicieuse eau à tout le monde, elle ne s'embarrasse pas de savoir si son visiteur est un homme ou une femme, est riche ou pauvre, est valide ou handicapé, est Noir ou Blanc. Son principal souci est que son précieux liquide continue, inlassablement, de couler à flots en laissant entendre ce doux ruissellement qui chante la vie.

 

 En été, les routiers ne manquent jamais de s'arrêter à cette fontaine pour se rafraîchir et permettre aux moteurs de leurs véhicules de refroidir. Pour les habitants de Kherrata, « faire un tour » signifie « aller à la fontaine ». Au fil du temps, cet endroit est devenu synonyme de récréation, de repos ou de rendez-vous.  Et les soirs d'été, au moment de la balade crépusculaire, les promeneurs se dirigent immanquablement vers Tababourte qui trône magnifiquement à la sortie ouest du village. Ses belles arches, ses jarres et ses vasques fleuries entourant un grand bassin confèrent à cet endroit un effet enchanteur...

 

Là, l'animation est garantie. La place grouille de monde. De petits camelots débitent leurs boniments usés pour décider les gens à acheter des cigarettes, du maïs grillé, des friandises et autres douceurs. Et le murmure des conversations, les cris des enfants jouant aux abords du grand bassin, la musique diffusée par un transistor invisible, tout ce plaisant charivari crée autour de la fontaine une ambiance de gaieté où il fait bon vivre. Alors, Tababourte est heureuse. Son eau limpide et pure coule de plus belle en miroitant superbement.

 

Mais, plus tard dans la nuit, quand tout le monde est parti, quand elle se retrouve seule dans le noir, la fontaine, l'air triste, roucoule doucement en égrenant les secondes au rythme de sa chute d'eau dans le bassin. Patiemment, toujours éveillée, elle attend le lever du jour, car elle sait qu'aux premières lueurs de l'aube, elle redeviendra la coquette du village...

 

 Je ne peux pas penser à cette fontaine sans me rappeler un incident dont je fus l'infortunée victime. Je devais avoir dix ou douze ans. En été, il était de coutume que je remplisse de Tababourte un alcarazas (sorte de cruche en terre poreuse) que je rapportais avant le dîner à Zizi qui était très friand de cette eau. Ce jour-là, l'affluence à la fontaine était plus importante que d'habitude. Il fallait donner du coude pour arriver à la bouche de la fontaine. Jouant au plus malin, je grimpai rapidement sur la bordure du bassin et, dans un mouvement acrobatique, je tendis ma cruche au-dessus des têtes pour la remplir. Mais, au moment où j'allais réussir, je fus déséquilibré et me retrouvai malencontreusement sur le sol pavé, allongé de tout mon long. Je perdis momentanément connaissance. On m'aspergea d'eau froide tout en m'administrant quelques claques pour me réveiller. Encore étourdi, j'entendis une voix lointaine me demander : « Alors, ça va mieux ? » À ma réponse, un gros rire général éclata : je venais de marmonner « Ayamma ouiss » qui signifiait « Je ne sais pas, maman »

 

Cette réponse inopportune m'a persécuté durant plusieurs semaines. À l'école, dans la rue, au stade, toute occasion était bonne pour me lancer à la cantonade, sur un ton amusant : « Hé, Lemnouar, Ayamma Ouiss ! »

 

Cette fontaine était également — pour nous écoliers — une aubaine inespérée pour accomplir à l'instar des scouts la bonne action (B.A.) hebdomadaire à raconter tous les lundis matins à monsieur Blanc, notre instituteur, dans le cadre de la leçon d'éducation civique et morale. À la fontaine, on était sûr d'y trouver des vieilles venues remplir d'eau leurs cruches ou leurs jarres : il suffisait de leur proposer notre aide, et la B.A. était dans la poche ! De plus, nous avions droit à un flot de bénédictions dont ces vieilles femmes nous inondaient.

 



27/12/2008
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